Mes chers amis.
Mes fils bien aimés
Voici
mes mémoires.
Certains
se reconnaîtront.
Merci
d'avoir participé à cette tranche de vie entre Histoire et
histoires.
La
mienne est intimement liée à celle de l’École Publique, Laïque,
Gratuite, qui m'a vu grandir, rejoindre ses rangs et attendre que
sonne enfin l'heure de la retraite à moins qu'avant je ne trépasse...
"Mais où-est-ce qu'on les enterre ?" |
J'ai
changé les prénoms de ces femmes qui m'ont élevée.
Elles
ne m'en voudront pas.
C'est
féministe, féminin et joyeux : vieillir n'est pas un naufrage, ne
croyez pas les vendeurs de crèmes et d’extrêmes.
"Supplique pour être enterré..." |
Voici
ce l'ivre, que je vous livre avec ses imperfections, ses corrections
à apporter, ses illustrations à inventer et qui sait, un film, une
pièce de théâtre, une série de BD, une école à inventer…
"Le bulletin de santé" |
Pas
de glossaire même si certains mots comme « tacon »,
« sanquette », « campenotte »,
« cramaillots » ne sont pas dans le dictionnaire :
allez faire un tour sur les expressions de Franche Comté ou de la
Barousse.
"Les funérailles" |
LIVRE I
En
fait, je vais vous raconter MA Vie. Enfin, mes vies.
Je
sais, c'est nul de commencer un livre comme ça.
Mais
c'est MON livre et j'écris comme je veux.
D'ailleurs,
y'en a plein qui ont écrit des livres qui commencent par des phrases
à la con du genre « Ma mère est morte ce matin » qui deviennent
des citations pour faire croire qu'on a lu Camus alors qu'on s'est
contenté de pomper un résumé sur Internet.
Moi,
Camus, je ne l'ai jamais lu.
On
a essayé de m'obliger quand j'étais au lycée. J'ai trouvé ça
louche qu'on incitât à lire certains livres et pas d'autres que je
trouvais beaucoup plus captivants. Du coup, j'ai arrêté de lire des
livres et j'ai commencé à boire avec les cancres du fond de la
classe qui jouaient aussi de la guitare.
J'ai
aussi arrêté d'aller en cours de maths et de physique parce que mon
père voulait que je fasse Math Sup ou un truc dans le genre. Et puis
aussi parce que je détestais la prof, une allumeuse en minijupe qui
n'en avait que pour les boutonneux binoclards des premiers rangs. Et
puis surtout parce que je ne comprenais rien à la physique qui
commençait toujours par « Dans les conditions normales de
température et de pression » ou «Dans le vide ». Très
déstabilisant.
"La maîtresse d'école" |
Je n'ai pas lu Camus mais j'aurais dû. J'aime ses citations. Ça circule pas mal sur FB en ce moment. Dommage qu'il soit mort. Il relèverait le niveau. Un type qui sait écrire ET qui joue au foot, cela ne court pas les stades. Il était gardien de but. Et il écrivait des citations mémorables qu'il planquait dans ses bouquins. Un peu l'inventeur du TAG. J'aurais dû : j'avais envie de me la péter un peu et de sortir de mémoire sa phrase sur le foot et les hommes mais à quoi bon ? CAMUS FOOT CITATIONS dans ton moteur de recherche préféré et tu la trouves, sans fautes d'orthographe avec un peu de chance.
"Je ne sais rien faire" |
Je
monterais bien chercher sa biographie par Onfray en haut mais je me
connais : si je bouge de cette p... de table avant d'avoir raconté
ma vie, je n'écrirai jamais pourquoi tout à coup j'ai envie de
raconter ma vie et que finalement, je m'en tamponne de savoir si je
serai publiée, invitée à la TV, vendue, achetée, critiquée. Si
mon manuscrit, commencé il y a 7 ans, sera renvoyé à mes frais, si
j'ai pris assez de distance avec le drame auquel j'ai survécu, si la
politique éditoriale de la maison ne correspond pas à mon récit,
si on s'en fout des ménagères de plus de 50 ans. Sauf quand elles
ont envie de maigrir, de se dérider, de trouver le grand amour, de
transformer un clapier en table d'hôtes de charme, de se teindre les
cheveux avec des produits BIO... On se fout des ménagères tout
court. Sauf quand elles sont en argent et qu'il ne manque aucun
couvert pour le concours de la plus belle table sponsorisé par une
marque des arts de la table.
"Les grands magasins" |
On
se fout des femmes en général. Sauf pour s'enorgueillir que la
Française, en dépit des conditions de précarité où elle survit
trop souvent, continue de pondre en moyenne deux virgule quelque
chose enfants. La Française en âge de procréer je suppose. Je ne
sais pas comment on arrive à des pourcentages sur un nombre
d'enfants par femme. C'est à peu près aussi louche que les
expériences de physique qui rataient toujours parce que ce n'est pas
facile de créer le vide ni de réunir les conditions normales de
température et de pression quand la moitié de la classe tente de
remplir des bombes à eau en papier ligné avec un truc qui sent
l’œuf pourri.
"Les jeux olympiques" |
Ça
doit être dur d'être prof. Heureusement qu'il y a les vacances pour
les requinquer entre deux cohortes parce qu'avec Internet, les mômes
n'attendent plus le collège pour fabriquer des bombes à eau. Ce
n'est pas si facile, surtout au moment du remplissage : pour peu que
le papier soit trop fin, on se retrouve avec les pompes ruinées et
une tenace odeur d’œuf pourri.
"Si ça se trouve" |
Ça
doit être vraiment dur. Surtout quand on est prof ET femme. C'est à
dire très souvent. Le plus souvent dans le primaire, presque
toujours en maternelle. Je n'ose même pas imaginer comment ça doit
être dur d'être prof, femme et d'élever ses deux enfants virgule
quelque chose. J'ai eu du bol, je suis institutrice, j'ai laissé la
virgule dans le formol d'un avorteur peu amène et j'ai attendu que
le père de la paire de garçons comptabilisés tente de m'étrangler
sur un rebord de baignoire pour comprendre qu'il était temps de
changer d'air.
C'est
un bon début pour un livre une nana renversée sur le rebord d'une
baignoire à bulles qui ne capte pas que son Prince charmant est en
train de l'étrangler et qui réussit juste à lui dire, avant de
tomber dans les pommes, « Machin j'ai plus d'air ».
"Le grand méchant loup" |
En fait il ne
s'appelle pas Machin mais si je dis son nom ça va faire vengeance à
retardement et je n'ai aucun désir de vengeance. Je dirais bien que
je suis même reconnaissante à Machin d'avoir pété une durite
avant que je me ratatine dans la vie sans surprise qui filait entre
le travail, les amis et les lendemains remis aux Calendes mais ça
sonne « Je suis revenue de la haine, j'ai vaincu la peur, j'ai
pardonné, j'ai trouvé la paix dans la méditation et le sport, j'ai
lâché prise et autres sornettes. »
"Je suis liquide" |
C'est
faux : je ne suis revenue de rien.
Je
ne me rappelle pas avoir haï.
La
peur m'a donné des ailes.
Je
ne sais pas ce que signifie pardonner.
J'espère
trouver la paix dans les mots couchés sur le papier.
Le
sport fait toujours du mal à mon corps. Je n'ai prise sur
rien et c'est encore plus déstabilisant que les cours de physique.
J'aimerais
trouver un truc pour me lever chaque matin avec le sourire, profiter
de l'instant présent, faire toute chose en conscience, pratiquer
l'altruisme au quotidien, aimer mon prochain, trier mes déchets,
isoler ma maison, prendre une assurance vie, laisser un bon souvenir
à ma descendance, vivre chaque instant comme si c'était le dernier,
comme si j'étais là, sur ce rebord de baignoire en train
d'accueillir la mort emplie des images de toute une vie qui se
faufile pour trouver l'issue de secours.
En
fait, non.
"The Partisan" |
Je
n'aimerais pas trouver un truc pour vivre avec mes blessures comme si
ce n'était rien en me gavant de bonbons pour oublier et me lever
chaque matin avec le sourire entendu de celui qui paie les vacances
de son pharmacien.
Je
veux guérir. Je veux aimer. Je veux transmettre toute la joie
accumulée depuis tant de temps, je ne veux pas casser les bonbons
avec la souffrance d'être trahie, faire rire avec des citations
piquées sur Internet, baratiner avec ma vision du monde.
"Poupée de cire" |
D'abord,
je suis qui pour vous dire comment je vois le monde, Einstein ? Ah, si j'avais eu Internet à
l'époque : la face de carême de ma prof de physique se serait
illuminée. Je serais allée sur un des nombreux sites rassemblant
les citations d'Einstein et j'aurais compris l'essentiel. Toute la
physique dans les citations d'Einstein ! Un concentré de savoir dans
quelques mots plaisamment agencés qui tintent à l'oreille. Tout le
sens dans le son !
"Ne vous mariez pas" |
Je veux écrire un livre qui se lit, se lie et se délie, délasse, délie la langue. Un livre qui se dit, qui chante à l'oreille, un livre qui conte, un livre qui sème les citations, évoque, suggère, invoque, laisse sur sa fin comme un parfum d'aventures.
"L'agriculteur" |
Je veux écrire un livre à lire dans tous les sens, à décortiquer, à respirer, à emporter, à déguster sur place, à laisser dans les chiottes, à oublier dans un train, à offrir, à voler, à empiler, à signer, à dédicacer, à dédier.
Je
veux écrire un livre à aimer la lecture, à apprendre
l'orthographe, à débusquer le subjonctif, à jouir de la syntaxe, à
traduire en images, à convertir en sons. Je veux écrire ma légende
comme si c'était celle d'un autre. Je veux franchir les montagnes
portée par les aigles, plonger au fond des lacs et de leurs
mystères, descendre les rivières en canoë, traverser la jungle,
découvrir le remède, démasquer le traître, chanter comme Tina,
rester sur la montagne. Je veux...
"Berceuse pour un petit loupiot" |
« On ne dit pas " je veux ". On dit " je voudrais !" »
Ah
bon ? Et pourquoi ne dirait-on pas « je veux » mais « je voudrais
» ? Pourquoi ce conditionnel insidieux dès l'enfance ?
Comment
savoir ce que l'on veut sans jamais l'expérimenter ? Sans jamais
s'exposer à la frustration, à l'attente, à l'effort ? Sans jamais
se sentir confiant quelle que soit l'issue ? Tu veux écrire ? ÉCRIS
! Cesse de t'inventer une lessive à pendre, les cartes de vœux
manuscrites à distribuer, le repas à préparer, une formation à
terminer, l'envie soudaine de coudre ou d'en découdre, la classe à
préparer, la nuit blanche comme page vierge d'un grand cahier noir
que tu termines ce soir pour retour à la case départ, un autre toi
qui te surveille, qui te rappelle à l'ordre établi.
"Les petites filles modèles" |
Lâche-toi ! Fais-toi plaisir. Laisse glisser la plume souple que pilote ta main droite libérée. Équilibre le corps bleu azur entre pouce et index. Pose ton poignet sur la douceur du papier. Oublie la leçon d'écriture, ses pleins et ses déliés, ses taches et ses pâtés, ses ratures et ses bavures. Biffe. Ose. Observe comment l'erreur pointe là où ça pique. Un « h » à la place d'un « l », un « s » qui s'oublie, un verbe déguisé en nom, un nom propre qui s'amourache d'un déterminant, une lignée qui s'invente en pompant aux racines grecques et latines des mots. Souple la plume. N'appuie pas, surveille l'ombre effilée voleter entre les blancs, se suspendre, hésiter, surprendre, s'accrocher aux virgules jusqu'à la chute.
Pointe à la ligne. Point à la ligne.
«
Enter » pour les internautes ringards qui écrivent encore eux-mêmes
leurs textes,
citations
ou devoirs. Point magique qui stoppe l'élan. Profite de l'oxygène,
reprends ta respiration. Vois cette majuscule. Non, non, ce n'est pas
un nom propre, c'est le premier mot d'une phrase. Il commence
toujours par une majuscule. Elle est plus grande que les autres
lettres pour être bien vue, bien lue, bien roulée la majuscule.
Capitale la majuscule. Sémaphore, phare, feu de signalisation.
Parfois enluminée, superbe. Confiante. Fière initiale. Trois
interlignes au dessus de la ligne, pas plus. Comme les boucles des «
l », « k» « b », « h » et « f ». Deux interlignes en dessous
de la ligne le « f », comme toutes celles qui passent sous la
ligne, même les majuscules « G » et « J ».
Combien sommes-nous encore à avoir appris l'écriture manuscrite au son de la craie qui crisse, grince, dérape sur le tableau noir en cassant sous la pression ? A frissonner quand l'ongle s'accroche au passage ? A trembler un peu lorsque nous reprenons la plume après une trop longue pause ? A envoyer des cartes de vœux manuscrites, à lécher des timbres, couvrir des pages de notes jamais relues, laisser des traces de notre passage sur un morceau de papier glissé sous la porte ?
"Les hormones Simone" |
Combien sommes-nous encore à avoir appris l'écriture manuscrite au son de la craie qui crisse, grince, dérape sur le tableau noir en cassant sous la pression ? A frissonner quand l'ongle s'accroche au passage ? A trembler un peu lorsque nous reprenons la plume après une trop longue pause ? A envoyer des cartes de vœux manuscrites, à lécher des timbres, couvrir des pages de notes jamais relues, laisser des traces de notre passage sur un morceau de papier glissé sous la porte ?
"Je m'en vais" |
Arriver à l'improviste, trouver porte close, déposer un message sur la table de la cuisine pour dire que l'on s'en va, que l'on ne reviendra pas, qu'il y a une lessive à pendre, que le chat n'est pas revenu, qu'il s'appelle Merlin et que nous sommes tristes de l'avoir perdu… C'est ainsi que je veux écrire mon livre.
Sur
un grand cahier de croquis à couverture noire où il fait bon poser
la main que guide l'âme. Par petits morceaux, comme un puzzle à
reconstituer. Manuscrit atomisé aux quatre coins du temps en
écoutant toute la musique
que j'aime sur une vieille platine tandis que la chatte s'est
roulée en boule sur le guide-âne fait main.
"Les garçons de mon quartier" |
Guide-âne !
Toute
mon enfance épistolaire dans ces blocs de papier blanc et du
guide-âne glissé sous la feuille presque transparente, histoire de
ne pas monter au grenier ni descendre à la cave.
On
n'écrit pas comme on veut.
On
écrit en construisant des belles phrases qui plaisent aux adultes et
aux professeurs, en soignant son orthographe et son écriture. On
n'écrit pas dans la marge. On laisse un ou deux doigts à la fin de
la ligne, que l’œil s'en retourne. On remplit les interlignes avec
des « o » bien tournés, des « a » dodus, des « e » élégants,
des « i » droits, des « u » nets, des boucles élancées, la
barre du t et deux interlignes et demi pour le « d », histoire de
ne pas le confondre avec un « a » trop impétueux.
"Comme les blés" |
Blancs.
Marges.
Lignes.
Majuscules.
Points.
Virgules.
Initiales.
Noms
propres sortant du commun.
Plume.
Encre.
Gomme.
Crayon
de papier.
On
n'écrit pas comme on veut. On écrit en respectant des contraintes
physiques qui obligeaient alors la plume biseautée à relâcher sa
pression en montant, appuyer en descendant, s'arrêter avant la
panne, doser la quantité d'encre, garder le dos droit, le poignet
posé, les doigts calés, la ligne dégagée.
On
n'écrit pas comme on veut.
On
écrit avec son temps.
On
écrit comme on a appris.
On
écrit comme on aime.
Totalement.
Intensément. Timidement. Maladroitement. Délicatement.
Furieusement. Compulsivement. Littéralement. Machinalement.
"Oui, nous referons un monde" |
Me
revoilà à la case départ avec ce problème de livre.
Je
n'écris pas un livre.
Je
livre une histoire. Mon histoire en écritures.
Je
l'écris parce que je n'ai personne à qui la raconter qui soit assez
patient pour l’écouter jusqu'au bout, assez curieux pour glaner
entre les lignes. En vrai, j'aimerais mieux la raconter. Cela serait
plus facile. Vous pourriez vous assoupir de temps en temps, stopper
la cassette, le CD, la vidéo...
Je
n'écris pas un livre. Je rassemble mes souvenirs sur un support
physique dont je peux mesurer la réalité par le toucher, la vue,
l'odorat, l'ouïe et même le goût quand par mégarde je porte à la
bouche l'autre côté du stylo.
Je
brode. Je navigue d'une époque à l'autre, d'un monde à l'autre,
d'une ligne à l'autre guidée par l'éclat bleu-mauve entre mes
doigts. Je goûte. Je teste ce petit bijou que je me suis offert pour
commencer l'année 2016 avec la ferme intention de terminer enfin ce
que j'ai entrepris il y a 7 ans. Inventer l'histoire de ma vie qui
commence dans une drôle de maison
pleine de fenêtres, adossée à la colline couverte de
vignes, baignée de sons et de soleil, au milieu d'un jardin de poche
baptisé Garden Rock.
J'écris
pour me relire, ne plus jamais perdre pied, restée penchée au
dessus du vide, relier les morceaux du puzzle éparpillés dans la
tempête, ne jamais oublier ce jour.
L'eau
a coulé sous le pont que traverse la lumière aux
couleurs du temps.
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